Économie sociale, Employeurs
La CTA : Vendre des parts à ses employés
11/04/2022
Économie sociale, Employeurs
11/04/2022
Le milieu du travail vit actuellement de profonds bouleversements liés, entre autres, à la rareté et la mobilité de la main-d’œuvre. En plus des difficultés d’approvisionnement que vivent actuellement les gestionnaires d’entreprises, le casse-tête des ressources humaines semble souvent impossible à résoudre. Plus que jamais, il est difficile de mobiliser ses employés au point de les garder intéressés à s’investir dans l’entreprise, d’arriver à ce qu’ils se projettent au sein de l’équipe pour les 5, 10 prochaines années, ou même jusqu’à l’âge de la retraite. Mettre en place une coopérative de travailleurs actionnaire (CTA) peut potentiellement changer la donne.
Les personnes qui dirigent et possèdent des entreprises doivent rivaliser d’ingéniosité pour attirer et retenir la main-d’œuvre, si bien qu’une gamme d’avantages sociaux incluant congés, REER et assurances collectives ne suffit plus à elle seule.
Une des options qui s’offre à un propriétaire d’entreprise et à un groupe d’employés souhaitant s’impliquer davantage dans la gestion de l’entreprise qui les embauche est la CTA, soit la coopérative de travailleurs actionnaire.
Concrètement, une coopérative de travailleurs actionnaires, c’est l’ensemble des employés d’une entreprise qui se regroupe sous une forme coopérative pour acheter un bloc d’actions de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Cela permet au propriétaire de dégager des liquidités avec la vente d’une portion de ses parts, de partager de manière plus intrinsèque la responsabilité de la réussite de l’entreprise avec ses employés, et donc, de les mobiliser activement dans l’atteinte des résultats financiers puisqu’ils en tirent maintenant un bénéfice direct.
Dans ce cas de figure, les employés deviennent, collectivement, un actionnaire de l’entreprise et ont un pouvoir décisionnel en fonction de la proportion de leur poids dans l’organisation. Mais attention, une CTA, ce n’est pas une formule magique ! Il y a plusieurs étapes à prendre en considération, tant du côté du cédant que des acquéreurs, afin de bien positionner les attentes de chacune des parties et de répartir les responsabilités et les charges de travail des deux côtés. Heureusement, il existe des services d’accompagnement pour un groupe qui voudrait explorer cette avenue.
Avant de se lancer dans l’aventure, il faut faire une évaluation à 360° de la situation de l’entreprise et des parties prenantes afin de dresser un portrait clair de la faisabilité d’un tel projet. Il est important d’accompagner le cédant afin de bien circonscrire les motivations de ce dernier à inclure ses employés dans la gestion de l’entreprise via une participation financière. Heureusement, dès les premières étapes, il existe plusieurs outils et produits financiers pour appuyer un groupe de travailleurs souhaitant s’investir au sein de leur entreprise.
Par exemple, la réalisation d’une vérification diligente peut faire l’objet d’une aide financière de la part du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), et du financement existe aussi pour l’évaluation visant à établir la valeur marchande des parts de l’entreprise. D’ailleurs, plusieurs acteurs du développement économique peuvent intervenir à différents moments afin de soutenir une entreprise qui souhaite évaluer cette option, que ce soit les conseillers en économie sociale d’Entreprendre Sherbrooke, les conseillers en développement coopératif de la Coopérative de développement régional du Québec (CDRQ) ou les conseillers en transfert d’entreprise de la CTEQ.
Selon Kristalna Vincent-Douville, Directrice régionale de l’Estrie et de la Montérégie à la CDRQ, l’étude d’implantation constitue une étape cruciale pour le groupe d’acquéreurs, car elle permet d’établir la valeur réelle de l’entreprise et des parts qui seront cédées, d’évaluer les perspectives de croissance, mais aussi de déterminer l’impact financier concret que représente l’investissement pour les acquéreurs. « On veut s’assurer de bâtir une transaction gagnant-gagnant pour favoriser la réussite du projet sur le long terme. Parce que lorsque l’on devient propriétaire, c’est dans les bonnes périodes comme dans les périodes plus difficiles ».
Dans le cadre d’une CTA, les employés deviennent des investisseurs et doivent participer financièrement à l’entreprise pour en acquérir des parts, que ce soit via une ponction sur la paie ou une cotisation forfaitaire lors du démarrage. C’est pourquoi il est primordial d’établir une relation basée sur l’ouverture, la communication et la confiance. Et à terme, si la coopérative de travailleurs actionnaire est solide et repose sur des personnes motivées et engagées, la CTA peut donc aussi être un bon tremplin vers le transfert complet de l’entreprises sous la forme d’une reprise collective. Selon une récente étude, seuls 14% des propriétaires de PME ont un bon plan de relève et dans ce contexte, miser sur ses employés peut s’avérer une option viable.
Lorsque les bons ingrédients sont réunis, la coopérative en milieu de travail est une option avantageuse qui assure une pérennité à l’entreprise. Les chiffres du Gouvernement du Québec le démontrent, le taux de survire des coopératives est supérieur à l’ensemble des entreprises, que ce soit sur un horizon de 3 ans, de 5 ans ou même de 10 ans.
Côté financement, plusieurs incitatifs sont disponibles pour le groupe d’acquérants qui souhaite aller de l’avant. Par exemple, le Régime d’Investissement coopératif (RIC) confère, sous certaines conditions, un avantage fiscal au groupe qui acquiert des parts sous une forme coopérative. D’autres partenaires financiers tels que le Réseau d’investissement social du Québec (RISQ), la Caisse d’économie solidaire et même Investissement Québec peuvent aussi intervenir à différents niveaux, sous certaines conditions, afin de boucler le montage financier. Le Fonds de développement des entreprises d’économie sociale (FDEÉS) administré par Entreprendre Sherbrooke peut aussi constituer un premier domino dans l’écosystème financier qui facilite l’accès à d’autres partenaires financiers.
Il existe assez peu d’exemples de coopératives de travailleurs actionnaires en Estrie, mais on peut penser au secteur de l’automobile, avec la Coopérative des employé(e)s des automobiles Val Estrie ainsi que la Coopérative des employé(e)s de Weedon automobile, deux coopératives immatriculées respectivement en 1997 et 1998. Il y a aussi l’aventure de FilSpec qui est un cas d’école à Sherbrooke. En effet, les employés se sont réunis en 2004 pour créer une coopérative de travailleurs actionnaire afin de sauver l’entreprise Cavalier Textiles de la faillite. Les employés se sont retroussé les manches, ont fait de la recherche et du développement pour créer de nouveaux produits hyperspécialisés, ont fait l’acquisition de nouvelles machines et créé de nouveaux partenariats d’affaires. L’aventure aura duré plus de 15 ans, si bien que le président-fondateur de la coopérative de travailleurs actionnaire, Bernard Cournoyer, parlait de la vente de l’entreprise en 2020 comme étant l’apogée de leur succès.
En effet, dans le cas de FilSpec, il s’agit bel et bien d’une histoire à succès qui a permis de conserver des emplois et de développer une expertise dans la région. Bien qu’il existe plusieurs avantages à se lancer dans un tel projet, il peut aussi y avoir de mauvaises raisons, des perceptions faussées, des difficultés et des écueils. C’est pourquoi il vaut mieux être vigilant en amont et s’assurer d’avoir une compréhension partagée des rôles et devoirs de chacun et une évaluation réaliste du degré d’implication dans le projet.
Renseignez-vous auprès de nos personnes-ressources en économie sociale pour en savoir plus sur la CTA et vous assurer de partir du bon pied !
Conseillère au développement de l’économie sociale
Conseillère au développement de l’économie sociale